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Photo: Marie-France Coallier Le Devoir L’étude de Sébastien Rioux et de Rodolphe Gonzalès, qui se fonde sur les cadastres municipaux et l’évaluation foncière, est la première du genre à cartographier le recul du droit d’accès à l’eau. |
L’accès public aux lacs et rivières du Québec est aujourd’hui réduit à une peau de chagrin. Un duo de chercheurs a cartographié les rivages des plans d’eau québécois pour découvrir qu’au moins 98 % d’entre eux sont désormais inaccessibles.
Leurs résultats sont pour l’instant partiels. Quelque 92 municipalités représentant 15 des 17 régions administratives du Québec ont été cataloguées. « Même imparfaits, ces résultats parlent d’eux-mêmes », note l’un des chercheurs derrière cette étude, Sébastien Rioux.
Environ 90 % des rives des lacs et rivières sont enclavées par la propriété privée et donc fermées au public. Parmi les 10 % restants, la majorité est en pratique inaccessible. Ces bandes riveraines comprennent des ponts, des rampes pour bateaux, des usines d’épurations ou d’autres aménagements rendant l’accès à l’eau compliqué, voire impossible. En somme, 98 % de toutes les berges analysées sont inaccessibles ou privatisées.
Autrement dit, les accès sont « à toute fin pratique » inexistants pour les régions centrales du Québec, avance le chercheur. Pourtant, le Code civil du Québec stipule que la circulation sur les plans d’eau est garantie à tous citoyens… « à la condition de pouvoir y accéder légalement ».
La région du Nord-du-Québec est exclue de ce décompte. De même, les parcs nationaux ne figurent pas dans cette étude présentée ce mercredi au Congrès de l’Acfas.
Les parcs nationaux, « c’est payant, c’est cher », fait remarquer le second auteur de l’étude, Rodolphe Gonzalès. « Puis, s’il faut faire une heure et demie en auto, on n’est pas dans l’ordre de l’accessibilité. »
Les deux chercheurs ont en main l’ensemble des données riveraines des municipalités du Québec. Ils devraient pouvoir publier un portrait global de l’accès aux plans d’eau d’ici peu.
La culture de l’eau en péril
Le recul d’un droit universel aux plans d’eau n’est pas nouveau. Dès 1970, des chercheurs s’alertaient de voir les rives bétonnées et privatisées. L’étude de 2025, qui se fonde sur les cadastres municipaux et l’évaluation foncière, est la première du genre à cartographier le recul du droit d’accès à l’eau.
« La première étape pour se désenclaver, c’est de se désenclaver mentalement », plaide Sébastien Rioux. « L’eau est publique, c’est notre héritage collectif. Mais il y a une sorte de dépossession. »
En entrant dans le détail des cartes, on découvre que certaines villes possèdent une plage municipale, mais en restreignent l’accès à leurs citoyens, une pratique « douteuse d’un point de vue légal ».
Toutes ces restrictions mettent à mal une « culture de l’eau » qui pourrait prévaloir sur un territoire pourtant riche en plans d’eau. « À Montréal, on est sur une île, et on ne se rend pas compte qu’on est insulaires », illustre M. Gonzalès.
Quelques bons coups ressortent cependant du lot. À Québec, la promenade Samuel-De Champlain est un bel exemple de rive que l’on a redonnée à la population, pointe M. Rioux. « Québec est en avance sur plusieurs municipalités. »
Les grands lots industriels qui bordent le fleuve dans le secteur ont favorisé la reconversion de ces bandes riveraines, indique-t-il. Il y a autrement bien peu à faire pour renverser la tendance lorsque les berges sont cadastrées par de multiples petits lots résidentiels ou commerciaux.
Les frontières entre le public et les plans d’eau n’ont pas toujours été aussi hermétiques. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, toutes les bandes riveraines au Québec devaient être libres sur plusieurs mètres en raison du « droit de halage ». Cette bande de terre piétonne servait aux navigateurs qui souhaitaient tirer leur embarcation à partir de la terre ferme. Ce droit a disparu vers 1850 en faveur d’une loi sur l’agriculture.
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.
Source : Le Devoir, 7 mai 2025